La crise de confiance


Le récent incident diplomatique entre la France et l’Algérie qui a été marqué par le rappel par Alger de son ambassadeur à Paris pour « consultations » et l’interdiction du survol de son espace aérien par des avions militaires français, est un énième signe qui montre que la relation entre la France et l’Afrique est loin d’être un long fleuve tranquille. Ces dernières années dans une partie de l’Afrique francophone singulièrement, l’on a régulièrement assisté à une montée du sentiment anti-français. Ainsi, des mouvements citoyens ont fait de l’opposition à la France leur socle idéologique. Des mouvements comme, Tournons La Page International au Gabon, Yen a Marre et Frapp France dégage au Sénégal, le Balai citoyen au Burkina Faso, Filimbi au Congo, Lyna au Tchad etc., animés par des jeunes, ont entrepris de dénoncer la corruption des élites africaines, la violation des droits de l’homme, les violations de la constitution, mais surtout remettent en cause les intérêts de l’ancienne puissance coloniale française en Afrique.
La dernière bisbille entre Paris et Alger est symptomatique du cas français sur le continent. Cette escalade a été provoquée par des propos jugés « inacceptables » de la part du président français à l’endroit de l’Algérie. Au cours d’une rencontre le 30 septembre dernier à l’Elysée avec une vingtaine de petits-enfants de harkis, de rapatriés, d’anciens membres du Front national de libération (FLN) et du petit-fils du général Salan, ancien patron de l’Organisation armée secrète (OAS), Emmanuel Macron a qualifié le « système politico-militaire » algérien de « fatigué». D’après le président français, il entretient une rente mémorielle concernant la guerre d’Algérie. Il n’en fallait pas plus pour provoquer l’ire d’Alger. La présidence algérienne a jugé cette sortie d’« atteinte inacceptable à la mémoire de 5 millions 630 mille martyrs qui ont consenti le sacrifice suprême, à travers une résistance courageuse contre la colonisation française, entre les années 1830 et 1962».
Du reste, l’escarmouche avec Alger n’a d’égale que la guerre des mots entre la France et le Mali ces dernières semaines. Ainsi, s’offusquant du choix de Bamako de faire appel à la Russie pour lutter contre l’occupation de son territoire par les terroristes, après que la France ait décidé unilatéralement de réduire de moitié ses effectifs de la force Barkhane, l’Hexagone, par la voix de son ministre des Armées, Florence Parly, a menacé le Mali de représailles s’il venait à s’entêter sur cette voie. « Si le Mali engage un partenariat avec des mercenaires, le Mali s’isolera, il perdra le soutien de la communauté internationale, qui est pourtant très engagée dans ce pays. Il abandonnera des pans entiers de sa souveraineté – il suffit de regarder ce qu’il se passe en République centrafricaine aujourd’hui – et, loin de diversifier ses partenariats, s’enfermera dans un tête-à-tête avec une société de mercenaires », a-t-elle mis en garde. Pour les autorités maliennes, cette déclaration a été jugée indécente et choquante vis-à-vis d’un Etat indépendant et souverain, libre de coopérer avec tout partenaire de son choix.
Françafrique et paternalisme…
C’est justement l’attitude jugée paternaliste de Paris qui agace de plus en plus sur le continent. Après les indépendances survenues à l’orée des années 1960, la France a cru bon de garder une mainmise sur le continent, en contribuant notamment à l’émergence d’une race de dirigeants politiques dociles au service de ses intérêts. Mais au fil du temps, son soutien aux dictatures, le pillage des ressources et son entreprise de déstabilisation permanente de l’Afrique ont suscité un sentiment de défiance à l’égard de la France. En effet, usant de sa puissance militaire et économique, elle a tenté de recoloniser l’Afrique, à travers l’implantation de ses bases militaires, prêtes à «neutraliser» tout dirigeant «rebelle». Et l’accaparement des richesses du continent par le biais de ses firmes a fait le reste. Mais l’arrivée des dragons d’Asie représentés par la Chine, l’Inde et le Japon, plus portés vers les investissements et un partenariat gagnant-gagnant que sur les droits de l’Homme, les belles promesses et l’ingérence dans les affaires internes des Etats, a eu le chic d’éveiller les consciences africaines. Et depuis, la France est traitée avec plus de circonspection et de méfiance sur le continent. A cet égard, l’intellectuel camerounais Achille Mbembe, pense que «la reconnaissance de la perversion du colonialisme, de sa nature, littéralement, de crime contre l’humanité, est importante» pour «apurer les différends» entre la France et le continent.
La France garde la main… tendue…
Néanmoins, malgré une image écornée en Afrique, la France y demeure très présente. Consciente des multiples opportunités et des enjeux qu’offre le continent, Paris garde toujours la main tendue. Plusieurs initiatives démontrent cette volonté. Parmi elles, on peut citer l’organisation du Sommet de Paris sur le financement de l’économie africaine post Covid-19. Organisé le 18 mai dernier à Paris, cette rencontre avait pour but de mettre en place un mécanisme de soutien financier très substantiel destiné à impulser l’économie des Etats touchés par la crise sanitaire.
Le dernier Sommet France-Afrique tenu le 8 octobre dernier à Montpellier, procède également de la volonté de Paris de décomplexer et de réinventer sa relation avec le continent africain. Pour la première fois depuis 1973 et le début des Sommets France-Afrique, la rencontre a eu lieu sans chefs d’Etat et sans autorités institutionnelles. Elle a mis en scène exclusivement la jeunesse d’Afrique et de France dans la perspective de bâtir une nouvelle relation entre la France et le continent africain.
Toutefois les bonnes intentions revendiquées par Paris sont loin d’être partagées par tous. Pour beaucoup d’Africains, ce sommet n’aura été qu’un prétexte pour Paris pour tenter de polir son image détériorée. L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a notamment dénoncé «un faux coup de pied dans la fourmillière». Dans une tribune libre publiée dans la presse de son pays, il a fait savoir que «le face-à-face entre Macron et la société civile africaine aurait été beaucoup plus crédible ou même fructueux si on avait au moins senti sur le terrain des signes concrets de sa volonté de changement». Pour l’activiste gabonais Marc Ona Essangui le problème central vient de ce que la France n’a pas su changer de politique à l’égard du continent depuis la décolonisation. « L’Afrique a évolué en termes de générations, mais la France est restée coincée sur le même paradigme, c’est-à-dire : il faut défendre les intérêts, rien que les intérêts. La population africaine ne compte pas, estime-t-il. On impose des dictateurs, on soutient les dictateurs qui massacrent leur population et la vie continue. On privilégie les intérêts économiques, mais quand il s’agit d’évoquer les questions de démocratie, les questions de gouvernance, les droits de l’homme, la France ferme les yeux. »
Quoi qu’il en soit, au sortir du dernier Sommet France-Afrique de Montpelier, l’universitaire Achille Mbembe qui a joué un rôle actif dans sa préparation a formulé dans son rapport 13 propositions pour «refonder» la relation entre la France et le continent. Parmi elles, il avance notamment l’idée de créer un «fonds d’innovation pour la démocratie» dont la dotation initiale serait de 15 millions d’euros; de développer «un programme « Campus nomade » pour favoriser la mobilité des enseignants et chercheurs» qui «s’articulerait autour d’un programme Erasmus africain » ; de mettre en place « un forum euro-africain sur les migrations qui servirait d’enceinte de dialogue ». Il recommande également de « refonder les relations avec l’Europe du XXIe siècle sur la base d’un nouveau traité entre les deux organisations continentales ». Des vœux pieux ou réelle volonté de changement ? Rien n’est moins sûr…■